« Pour tout vous dire, je me demande si, au lieu de « Que reste-t-il de nos valeurs ? » , notre entretien n’aurait pas mieux fait de s’intituler « Que reste-t-il de nos amours ? ». L’appel aux « valeurs » est assez récent. Naguère nous parlions du bien, de la vérité, des traditions, de la morale. Maintenant nous affirmons nos valeurs. Ce qui suppose qu’elles n’en ont aucune en elles-mêmes. Si ce sont nos valeurs, alors ce ne sont pas celles des autres. L’un défendra les valeurs de la République, l’autre, celles de la monarchie, un troisième, celles du supermarché… Et ce troisième sera le plus lucide. Les « valeurs françaises » renvoient à la Bourse et à un système de cotation. On a beau parler de « valeurs traditionnelles », avec les valeurs, on est déjà dans le négoce. Ceci vaut tant, et donc équivaut à cela, en sorte que ceci n’est rien en dehors de l’évaluation et de l’échange. La notion de valeur est donc par définition relativiste. Mais elle est plus encore nihiliste. Elle est même à l’origine de la destruction de toute vraie générosité. »
Fabrice Hadjadj, in Le Figaro, 16 Aout 2014.