« J’apprends donc par la presse, en outre, que M. Fadier viendrait de prouver que la Joconde n’était pas, comme on le crut longtemps sur des apparences peu sérieuses, le portrait d’une dame florentine, mais celui d’un homme dans la force de l’âge. François Ier. La barbe en moins. Un travesti. Cette cachotterie ne saurait survivre à un test étonnant mais simple. C’était l’œuf de Colomb ; il ne fallait que le trouver. « Prenons le portrait de François Ier par Jean Clouet, dit M. Fadier, et coupons-le en deux dans le sens de la longueur. Nous appliquons la moitié droite de ce découpage sur la même moitié de la Joconde. Et voilà déjà une Joconde moitié figue et moitié raisin dans laquelle on commence à deviner la ressemblance ; la ressemblance vient, elle approche, elle est là à 50 % ; il ne manque plus qu’une moitié de la barbe. Prenons maintenant la moitié gauche du grand monarque, et collons-la de la même façon sur l’autre moitié de la Joconde: c’est François Ier, tout craché. Tout y est : la toque, la plume, le décolleté carré: le nez tombe un peu plus bas sur l’arc de la moustache, mais c’est l’affaire d’une humeur passagère ; on voit bien par là que la Joconde n’est autre chose que François Ier. » Exactement comme le couteau de cuisine est semblable au canif de poche en en changeant le manche et la lame. Le raisonnement est trop rapide pour qu’on ait le temps de se ressaisir. Ce qui me gêne un peu, c’est que la même méthode permettrait de démontrer tout net que ma grand-mère était le vivant portrait de sa machine à coudre. Ce qui n’est pas vrai (quand elle mettait son chapeau à plumes, elle ressemblait surtout au lion de Numidie). Quoi qu’il en soit, passons. Voilà. Voilà le point de la situation telle qu’un coup d’œil sur les journaux nous la présente. »
La Montagne, 20 avril 1960.