« L’homme sage doit conserver un vice pour ses vieux jours. Il en mène une vie plus ardente. Beaucoup de vieilles dames se passionnent pour le jeu. Elles ont de grands nez crochus, les joues creuses, les bras maigres, les doits griffus et des toilettes extravagantes. Des bijoux, de la poudre de riz et un maquillage excessif. Déconseillons cette aventure. Elles finissent en folles de Chaillot. L’avarice est beaucoup plus sage. Elle n’absorbe pas moins que le jeu, elle dévore son homme tout autant. Elle lui impose un régime très sobre qui le fait vivre jusqu’à cent ans. Elle multiplie son ingéniosité, elle aiguise son intelligence. Elle l’enrichit considérablement. Elle le rend cher longtemps à ses neveux, à ses nièces, à tous ses futurs héritiers. Elle lui impose des rites qui l’occupent, des privations qui le fanatisent, des férocités passionnantes qui l’entretiennent dans l’allégresse. Elle le rend vif, mordant, coriace, impressionnant et même typique. Elle tire de lui le plus vrai et le plus sec de lui-même. Elle confère à sa silhouette un caractère extrêmement accusé : les grands avares ont la tête de Voltaire sur un corps de lapin écorché. Rien n’est plus beau que de les voir dans leur cave compter des sous à la lueur d’une chandelle entre un nid de chauves-souris et une toile d’araignée. L’avarice est un sport total. On ne saurait trop conseiller l’avarice. »
Alexandre Vialatte, Chronique n°721, La Montagne – 16 avril 1967.