Dieu a créé naïvement le monde, comme il pouvait ; et les choses aussi font ce qu’elles peuvent ; mais elles ne savent pas bien ce qu’elles veulent, et c’est l’homme qui le leur apprend. Elles n’ont que du génie ; il faudrait du talent.
Car le génie ne fait jamais que ce qu’il peut, au lieu que le talent fait ce qu’il veut ; et c’est l’homme qui l’ajoute aux choses.
C’est grâce à lui que les choses deviennent ce qu’elles doivent être, la Bretagne bretonne et l’Ecosse écossaise, et Adam l’homme de Picasso.
La nature n’existe vraiment que triturée par les cubistes, les fauvistes, les classiques, les versipeintres ou les artistes de Hollywood qui savent les devoirs de la nature.
Dieu fait l’homme nu ; c’est l’homme qui habille l’homme d’un jupon, en un mot qui fait l’Ecossais.
C’est lui qui baptise les étoiles et classifie les champignons. On est effrayé du désordre qui régnerait dans la nature sans les planches en couleurs du Larousse illustré et le Catalogue de la Manufacture d’armes et de cycles de Saint-Etienne à couverture de faux marbre orné de chiens.
Elle s’abandonnerait à elle-même. Elle se répandrait au hasard. Résumons-nous, il n’ya aurait plus d’Ecosse.
On devrait tout refaire à Hollywood.
Relisons donc les dictionnaires qui endiguent les fureurs brutales de la nature et ses illogiques luxuriances pour la ranger, au grand complet, dans leur écrin comme un service de petites cuillères.
Alexandre Vialatte, (Des mots et des choses – La Montagne – 22 décembre 1953)