Une population à demi nue, vêtue de pagnes ou de serviettes éponges, noircie par les intempéries, grouille sur ces terres déshéritées, et va laver son slip dans un ruisseau fangeux qui n’abreuve que l’ortie ou l’érythème noueux et la varicelle urticante. Piquée par les moustiques et rongée par les œstres, dévorée par la mouche à bœufs, le bacille de Gaertner et les salmonelloses, elle vit dans un fracas d’arrosoirs en fer-blanc qui couvre la voix de la radio, les résultats du Tour de France, les aboiements des chiens qu’on bat, les hurlements des bébés qu’on fouette, les cris des dames âgées que mordent les enfants, des enfants qui poursuivent les chiens et des chiens que mordent les grand-mères. Les familles vivent en tas sous de précaires abris de toile d’où dépasse un peu, à la nuit, une barbe, un pied, un morceau de nièce ou de cousin pauvre. A trois mètres de la tente un grand-père, un bébé disparaissent dans le circum magma, engloutis par des pieds, des jambes, des troncs, des bras humains dans un lacis inextricable, comme un lapin dans un buisson. Aussi les pères de famille avisés attachent-ils par une corde courte au piquet central de la tente les grand-mères et les enfançons. Une barrière de barbelés isole du monde ces radeaux de la Méduse. Un haillon vert y sèche à côté d’une loque rose. La vache vient, contemple et s’étonne, le prisonnier se souvient et passe, le promeneur regarde et fuit épouvanté. C’est ce qu’on appelle un camping de vacances. C’est ce que l’homme a trouvé pour échapper enfin à la promiscuité des villes tentaculaires. C’est là qu’il vit, qu’il aime, qu’il rêve, qu’il digère et qu’il élimine. Une flèche lui indique le bon endroit. Comme au stalag. Son transistor l’y accompagne. En bandoulière. Et c’est ainsi qu’Allah est grand.
La Montagne, 13 juillet 1965.